J’ai changé de prénom et ça a tout changé

Récemment, je discutais avec une recruteuse au téléphone, tout en remplissant le formulaire en ligne qu’elle venait de m’envoyer. Le formulaire nous permettait d’inscrire notre « Legal name » et juste en dessous, le cas échéant, notre « Preferred name ». Je me suis immédiatement exclamée :

Preferred name?! That is so Canadian of you! Thanks for giving me the option!

Après avoir fini de rire, la recruteuse m’a confié :

I was not born Melanie* either.

À quoi j’ai répondu :

Sometimes, the names on our passports carry a lot of baggage.

Deep af. I know.

Passé trente ans, tes anciennes camarades de classe auront pratiquement toutes changé de nom de famille sur LinkedIn ! (Atta il faut bien qu’on sache qu’elles sont mariées maintenant ! Et qu’on n’a pas été invité∙e.) C’est déconcertant au début, tu essaies de te rappeler comment elles s’appelaient avant, mais la société t’a quand même préparé∙e à l’éventualité de ce changement.

Ce que tu ne sais pas, c’est que passé trente ans, les personnes que tu rencontreras pour la première fois se présenteront probablement à toi avec un prénom qui n’est pas inscrit dans leur état civil. Et elles ne sont pas forcément transgenres, racisées, ni, dans mon cas, des personnalités publiques.

N.B. : Dans cet article, je ne parlerai pas de deadname, mais de « nom de naissance ». Je réserve le mot « deadname » aux personnes transgenres comme je réserve le mot « SDF » aux personnes en situation d’extrême précarité. (Je le dis parce que beaucoup de personnes nomades qui ne paient pas de loyers fixes et naviguent d’apparts en maisons entre plusieurs métropoles, clament tout haut qu’elles sont SDF. No you’re not, stfu.)

Pourquoi changer de prénom ?

Cet article s’adresse à toutes les personnes qui ne savent pas qu’elles peuvent à tout moment décider d’être appelées autrement, par un prénom qu’elles ont choisi et avec lequel elles se sentent bien. Sans avoir à modifier les registres officiels de leur état civil.

Ripitaftermi :

N’importe qui peut n’importe quand décider de changer d’identité sans modifier son état civil.

Cet article s’adresse à toutes les personnes qui ressentent un malaise à chaque fois qu’on leur demande : « Comment tu t’appelles? » Si la réponse n’est pas clamée fièrement, ça peut être dû à plein de raisons : traumas familiaux, violences racistes, identité de genre, expression de genre, prénom pourri, espion de profession, témoin sous protection, mauvaise réputation… (Pense à tous les Adolf Hitler qui ont dû changer leurs noms parce que l’un d’entre eux a merdé !)

Quelle que soit la raison de ta gêne quand tu te présentes, as-tu pensé à changer de prénom (voire de nom de famille), au moins de façon officieuse ? Ça ne coûte rien ! Et crois-en mon expérience, le plus tôt est toujours le mieux. Ça va tout changer, tout doucement, mais très positivement.

Pourquoi j’ai changé de prénom

Je ne suis pas née Jo Güstin, c’est un nom que j’ai choisi début 2016. (Tu connais l’expression : « Nouvelle année, nouveau prénom ».) Mon nom de naissance c'est Jessie Augustine WAMAL donc j'avais déjà l'habitude de signer JAW, que je lisais en anglais parce que ça signifie mâchoire et… tu as vu ma mâchoire ? C’est comme si Rocco Siffredi était né Barnabé-Ignace Tocko Ekékè.

Moi, fin 2015, je finissais une année de psychothérapie EMDR et je devenais un papillon. Tu ne peux pas utiliser la même dénomination pour la chrysalide et le papillon quand même ! En plus, dans mon cas, la mutation s’est faite dans un état avancé de détresse psychique. La thérapie ne m’a pas permis de retrouver l’ancienne moi (redevenir chenille, quelle idée), mais d’accueillir la vraie moi, mon moi authentique (quelle horreur, c’est moi ou je parle comme une coach en développement personnel ?). Je devais renaître tout à fait, tuer celle que j’étais avant car elle n’était qu’une version fausse de moi, une version que j’estimais fabriquée par les autres.

En 2015, je n’étais plus Jessie, la Chrétienne cis hétérosexuelle salariée dans le marketing qui croyait en le capitalisme enseigné à HEC et n’avait jamais entendu parler d’intersectionnalité. Il fallait trouver un nom à l’artiste autrice militante queer, gauchiste, foncièrement athée et nihiliste optimiste.

Je ne voulais pas d’un prénom chrétien (rejet viscéral), pas d’un prénom français (passé colonial), encore moins d’un prénom genré (mine de rien, le prénom Jessie m’a, à plusieurs reprises, mise à l’abri du sexisme, surtout en tant que freelance. Bon maintenant qu’on ajoute des she/her à côté de nos noms, je ne peux plus trop me cacher).

Comment j’ai choisi Jo Güstin

Un soir, je me suis retrouvée dans une librairie panafricaine à Belleville et j'ai ouvert un dictionnaire Bassa-Français. Le Bassa est la langue de mon père, et celle du père de ma mère (mais mes deux parents se sont bien gardé∙e∙s de me transmettre ne serait-ce qu’une langue camerounaise, donc heureux les gens qui conçoivent des dictionnaires). Je me suis demandé si Jo pouvait avoir une signification en Bassa et le dico a parlé :

A ngonda, si tu prononces avec un o ouvert, jƆ signifie « lutter ». Avec un o fermé, en revanche, c'est « enterrer ».

How convenient! J’allais enterrer celle que j’étais avant, pour pouvoir lutter pour une justice sociale intersectionnelle ! J’ai donc choisi Jo comme nom d'artiste. J’ai commencé le standup en me faisant appeler Jo. Juste Jo. Simple et funky. Also, dans l’argot camerounais, « le jo » signifie « le mec ». Wink, wink.

Puis en 2016, j'ai voulu déposer mes premières chansons à la Sacem (écrites pour Gwen & Tiana). Et la Sacem m'a demandé de choisir un autre nom car Jo était déjà pris (par qui ? Le game n’est pas facile, force à nous). J'ai alors ajouté Güstin. Comme JAugustine. Augustine était le prénom de la grand-mère de mon père. Elle était réputée très courageuse malgré son âge et son physique. Si elle tombait sur un serpent aussi grand qu’elle, elle n’appelait pas un homme à son secours, elle prenait sa machette et tuait le m0therfucker. J’avais besoin de son courage pour continuer à vivre, cette fois en pleine conscience, dans un monde misogyne, raciste, classiste, homophobe, transphobe, validiste, spéciste et capitaliste. Un monde qui ne voudrait peut-être pas que je l’ouvre. Jo Gustine ? Nah… « Gustine » me paraissait trop... français. Donc j'ai essayé de le germaniser avec un Umlaut sur le u, et in se lirait « -ine ». Après tout, j'ai des ancêtres allemand∙e∙s (la grand-mère de ma grand-mère, paraît-il).

J’écris Jo et Güstin avec la même casse pour souligner que ce sont deux prénoms, et non un prénom Jo et un nom GÜSTIN. Ne pas avoir de nom de famille montre bien que je n’appartiens à aucune famille. Je me suis donné naissance toute seule à un moment où j’hésitais à me donner la mort.

Comment te choisir un nouveau prénom ?

1) La méthode des trois lettres 

Une autre personne avec qui je discutais de changement de prénom m’a parlé d’une méthode qu’elle avait lue quelque part et utilisée pour elle : prendre trois lettres dans son prénom de naissance et créer un nouveau nom à partir de ces trois lettres. Aurélien peut devenir Laurent, Luna, Nelly… Si tu cherches encore, tu peux faire ça.

2) La méthode du sens 

Moi, j’ai utilisé mes initiales pour créer mon prénom, mais c’était aussi important que ce prénom ait une certaine signification. Donc partir de la signification qu’on recherche est une possibilité ! Ça peut être une valeur qui t’est chère (la sérénité, la famille, la bouffe) ou juste la traduction de ton prénom de naissance dans une autre langue (Daisy plutôt que Marguerite, ou Marguerite plutôt que Daisy).

D’ailleurs, en parlant d’autre langue, petite anecdote : je me suis rappelé un peu tard (en 2022😅) qu’à la base, mon prénom Jessie était un anglicisme du nom camerounais de ma grand-mère maternelle. Mémé s’appelle Djessy, un nom 100 % bantou. Si je voulais un prénom non chrétien, non colonial et non genré, Djessy aurait très bien pu faire l’affaire ! Je l’ai toujours su et pourtant, au moment où je me cherchais un prénom, ça ne m’a même pas traversé l’esprit ! C’est comme découvrir une fois que tu es en couple dans une relation monogame exclusive, que telle personne était secrètement amoureuse de toi : bah c’est cool, mais qu’est-ce que tu veux que je fasse de cette information maintenant ?

3) La méthode « les derniers seront les premiers » 

Tu peux décider d’utiliser ton deuxième, troisième, quatrième prénom parce que le premier pue la m3rde ou parce que c’est celui-là qui te ressemble le plus. Si tu t’appelles Soupline Cajoline Kilav Fadimata, peut-être que Fadimata te colle mieux à la peau. Sauf si tu es contorsionniste au Cirque du Soleil, auquel cas garde Soupline.

4) La méthode Anna Madrigal

Tu as envie de jouer ? Tu es coquin∙e et mystérieux∙se ? (Je sais, on dirait le début d’une pub pour Passage du désir) : écris un message secret genre « J’ai tué Mufasa » ou « Beyoncé est surcotée » et deviens Fatuma Juisea ou Bruce Tony Écossetée ! C’est ce que le personnage d’Anna Madrigal a fait dans la saga de romans Les Chroniques de San Francisco. (Ça va, on est en 2023, ce n’est plus un spoiler.) Il y a plein de générateurs d’anagrammes gratuits en ligne pour t’aider.

5) La méthode des stars

Tu peux décider d’être l’homonyme de quelqu’un que tu admires, une personnalité fictive ou réelle, que tu as connue ou non. Moi, quand j’entendais Jo, je pensais à Josephine March, qui était pour moi le premier personnage féministe de la littérature occidentale (et l’un de mes premiers crushes dans le dessin animé Les Quatre filles du Dr March). J’aime bien Phoebe de Friends (d’ailleurs je pense que je suis un délicieux mélange de Phoebe Buffet et de Tig Notaro). Mais l’alias que j’utilise le plus souvent, c’est Serena Williams. Notamment dans les Zooms où je ne veux pas qu’on connaisse mon nom :

— Bonjour, je m’appelle Serena Williams et je suis championne internationale de tennis. J’ai une question pour… 

Quelle que soit la méthode pour laquelle tu optes, je te conseille de choisir un prénom avec lequel tu te sens belle∙beau et invincible. C’est le même conseil que je donne aux freelances qui me rencontrent en entretien : habillez-vous de vêtements dans lesquels vous vous sentez belles∙beaux et invincibles.

Le prénom est comme un vêtement que tu portes devant tout le monde !

Ce que te disent les gens qui rejettent ton nouveau prénom

La plupart des artistes conservent leurs identités de naissance pour leurs cercles privés (Axelle Red, Stromae, Damso…). À la maison, on les appelle Fabienne, Paul, William… Moi, je savais dès le départ que je voulais rompre tout à fait avec mon identité de naissance. J'ai surtout été inspirée par Nina Simone qui n'adressait plus la parole à quiconque (même de sa famille) l'appelait par son nom de naissance (que je me suis toujours refusé de mémoriser).

À partir du nouvel an 2016, j’ai donc demandé à toutes les personnes qui me connaissaient de m’appeler désormais Jo, car je ne répondrais plus au prénom Jessie. Certaines personnes se sont « prêtées au jeu » sans demander leur reste (et celles-là vivront heureuses et longtemps, tu verras), mais d’autres… Il faut voir les efforts qu’iels continuent de déployer pour m’appeler par tous les noms sauf Jo. Voici un petit florilège de ce que me disent les gens qui rejettent mon changement de prénom :

« J’étais à ton baptême, tu t’appelles [prénom de baptême]. »

(Moi, dans ma tête : « About that… »)

« Je suis déjà habitué∙e à ton vrai nom, impossible de t’appeler autrement. »

(Moi, dans ma tête : « Ah je comprends, si tu t’y es habitué∙e, ça change tout… Moi, je ne m’y suis jamais habituée en fait. Tu as dû entendre mon prénom plus souvent que moi ! »)

« Tu as changé à l’état civil ? Je t’appellerai par ton prénom officiel ! »

(Moi dans ma tête : « C’est pas toi qui appelles toutes les femmes de cette famille par le patronyme de leurs fiancés ? Aussitôt que la demande en mariage est faite, Véronique* n’est plus Véronique pour toi. Elle est Mme Epoupa* ! »)

« Non mais quel est ton vrai nom, c’est-à-dire celui que tes parents t’ont donné ? »

(Moi dans ma tête : « C’est le nouveau “Tu es de quelle origine” ? T’as qu’à me demander, c0nnard. Je suis Bassa de Babimbi du côté de mon père. Alors ? Heureux∙se ? »)

« Je te présente ma cousine Jessie, mais attention, elle ne veut pas qu’on l’appelle Jessie, elle veut qu’on l’appelle Jo. Mais elle est née Jessie, mais il faut l’appeler Jo. Pas Jessie. Jo. Pas Jessie, hein ? Mais elle s’appelle Jessie, pas Jo, mais il ne faut plus l’appeler Jessie. »

(Ça, c’était mon cousin Yann*, dont le décès a immédiatement inspiré la création de DEARNGE SOCIETY. Tu vois comment il dérangeait, non ?)

« Pour moi, tu seras toujours [prénom de naissance]. »

(Moi dans ma tête : « TOI-MÊME TU AS CHANGÉ DE PRÉNOM, TONTON ! »)

Mes deux grands-mères se sont tout de suite adaptées au prénom Jo. Celle qui s’appelle Djessy était un peu triste que je ne sois plus son homonyme, mais elle s’en est vite remise. Et l’autre, qui est Bassa, était trop contente de m’appeler dans sa langue ! Si deux nonagénaires n’ont eu aucun souci à accepter mon nouveau prénom, mais toi si, tu dois vraiment avoir de sérieux blocages qui n’ont rien à voir avec moi.

Je me dis que ça a peut-être à voir avec l’acceptation qu’on vieillit. Si même les personnes qui ont changé de nom n’acceptent pas les changements de nom des personnes qu’iels ont vues grandir, c’est peut-être le refus de dire adieu à l’enfant qui n’est plus, et donc adieu à l’adulte qui l’a un jour porté∙e dans ses bras… Mais si c’est le cas, pourquoi accepte-t-on si aisément les changements de patronymes des femmes mariées ?

Pourquoi je ne change pas mon prénom à l’état civil

J'ai remarqué, quand je devenais Jo Güstin, qu'il y avait PLEIN de gens de la génération de mes parents, des gens qui m’ont vue grandir, qui se faisaient appeler par un autre prénom que celui avec lequel iels avaient grandi ! (Mais moi, je ne pouvais pas savoir, je les avais toujours connu∙e∙s sous leurs prénoms d’emprunt !) Et aucune modification n’avait été faite à l’état civil.

Au Cameroun, quand un∙e enfant naît, quelqu’un (souvent le père) s’occupe de la déclaration de naissance, en disant que l’enfant s’appelle X. Appelons X Georgette. Georgette est l’homonyme de ta belle-mère qui a aidé ta femme durant toute la grossesse et même l’accouchement. Tu reviens à la maison avec l’acte de naissance de Georgette, mais voilà que tout le monde dans la concession, y compris Georgette Sr, se met à appeler Georgette, Taylor, parce qu’à cette époque, tout le monde regarde assidument Top Model (Amour, Gloire et Beauté) du lundi au vendredi à 20h20. Voilà comment l’enfant grandit avec le prénom Taylor qui n’est nulle part sur son acte de naissance. Ses nièces et neveux l’appelleront plus tard, Tata Taylor (ou Tataté), il n’y aura aucun problème.

Dans mon quotidien, les seules occasions où j’utilise encore le prénom Jessie, c’est aux urgences, à l’aéroport ou à la banque. Ça ne me provoque pas de dysphorie de genre parce qu’il ne s’agit pas d’un deadname, vu que je suis une femme cisgenre avec une expression de genre masculine ET que mon prénom de naissance est gender neutral. Même si j’admets l’urgence de faciliter les procédures de changements de noms et de genres à l’état civil (et le Canada est super pour ça), je n’en éprouve pas le besoin. Mon nom de naissance, c’est comme un mot de passe, un code secret, mais ce n’est plus mon nom. Et je suis bien contente d’avoir ce code secret ! Comme je serais embarrassée si on m’appelait Jo Güstin à l’hôpital ! Démasquée !

(D’ailleurs, à la personne Noire et probablement queer avec des cauris dans les cheveux qui a crié « Jo Güstin ? » quand je sortais d’une clinique du 11ème arrondissement de Paris, en pyjama, dans les vaps, shootée aux anxiolytiques, de l’écume de salive séchée autour des lèvres : j’espère que tu as gardé ça pour toi !)

Comment s’habituer à son nouveau prénom ?

Question aux personnes qui changent de patronyme après un mariage : est-ce que vous vous reconnaissez aussi dans ce que je vais dire ici ?

Le plus tôt tu changes de prénom, le plus tôt tu t’habitues à ton nouveau prénom. Au début, quand on me demandait mon nom, j'avais le réflexe de donner l'ancien. Puis quand je disais que je m’appelais Jo, j'avais l'impression de mentir et j'avais peur du regard des gens qui m’avaient connue comme Jessie. Puis j'ai appris à dire Jo avec plus d'assurance. Grâce à la sortie de 9 Histoires lumineuses (mon premier livre), il a commencé à y avoir plus de gens qui connaissaient Jo Güstin que de gens qui connaissaient Jessie WAMAL. Résultat : les récalcitrant∙e∙s qui continuent de m’appeler Jessie n’ont pas l’air con.

Il arrive (la dernière fois c'était pas plus tard que le 2 juin dernier) que certaines personnes (100 % mecs cis pour ma part) que tu rencontres pour la toute première fois te demandent :

— Non mais c'est quoi le nom que tes parents t'ont donné ? C'est par ça que j’ai envie t’appeler.

Ça m’est arrivé avec plusieurs journalistes. Ils insistaient pour pouvoir m’appeler d’une façon qui n’était pas celle de tout le monde. Comme pour avoir un accès à un club fermé. Comme si c'était leur façon de m'appeler chérie, ou de me toucher la cuisse sans me toucher la cuisse... Je ne le leur ai jamais permis. Non mais oh.

Au début, quand je me parlais, je continuais de m'appeler Jessie : « Bon matin Jessie ! », « Bravo ma Jess ! », « Waaahaaa A-Jessie, tu as encore oublié la marmite au feu ! Tous les jours ? »… Puis je m'en voulais de m'être trompée. Puis je suis devenue plus indulgente : il faut du temps pour s'habituer à un nouveau nom. Indulgente envers moi, puis envers les autres qui se trompaient encore, mais qui se dépêchaient de corriger. J’ai observé que ce qui aide les gens à accepter le changement, c'est l'amour. Avec le temps, Jo Güstin est devenu le nom que même mes proches utilisent en premier. Et quand je les entends m’appeler Jo, j’entends surtout « Je t’aime. »

Très vite sont arrivés de nouveaux surnoms que je n'ai pas choisis (on ne choisit pas ses surnoms hélas). Au début, tous ces surnoms dérivés de Jo m’agaçaient parce que j'avais déjà du mal à m'habituer à Jo tout court ! Et la meilleure façon de s’habituer à son nouveau prénom, c’est de se faire appeler par son nouveau prénom ! N’importe quel animal domestique te le dira ! Entendre les nouveaux sobriquets me perturbait, même s’il est vrai que parfois, quand on aime quelqu’un, on ne peut s'empêcher de lui trouver un petit nom... Derrière chaque sobriquet, il y a une déclaration d’amour.

Avant, j’étais blessée au plus profond de mon être quand les gens continuaient de m’appeler Jessie. Je trouvais ça irrespectueux, je n’entendais pas « Je t’aime », mais plutôt « Je ne te respecte pas ». (Ou plus exactement : « Je t’appelle comme je veux, b!tch ! Tu te prends même pour qui ? ») De même, à l’époque où je débutais dans l’athéisme, j’étais incapable d’écouter un cantique religieux, parce que j’avais peur de retomber dans le christianisme. Aujourd’hui, il n’y a aucun risque : vous pouvez chanter comme vous voulez, Dieu est mort et incinéré. Idem, aujourd’hui, ça ne me dérange plus d'entendre « Jessie WAMAL », parce qu’aujourd’hui, Jo Güstin est bien installée, elle a refait la déco, la peinture… jusqu’au plus profond de mon subconscient !

Changer de prénom m’a changé la vie !

Une personne m’a confié que depuis des années, elle n’arrive pas à se créer un site web parce qu’elle a encore du mal à assumer son nom. Quelques fois, on est aussi retardé∙e (ou plutôt retenu∙e) par l’espoir d’une réconciliation voire d’une guérison (dans la relation avec le père souvent), avant de prendre une décision par rapport à son nom.

Je l’ai dit, je le répète : le nom est un vêtement que tu portes devant tout le monde ! Quand tu n’aimes pas tes fringues (tu sais, celles que d’autres personnes t’ont offertes), très souvent tu te caches ! Le jour où tu te trouves stylé∙e, tu sors, tu vas littéralement te faire voir ! (Moi c’est le jour où on me fait les sourcils, parce que je suis stylée tous les jours tmtc.) Le meilleur moment de se montrer tel∙le qu’on est et le menton levé, c’est après s’être lavé∙e, changé∙e, vêtu∙e d’un prénom et/ou d’un nom avec lequel on se sent belle∙beau et invincible.

Changer de prénom m’a permis d’écrire tout ce que j’écris dans mes livres, tout ce que je clame dans mes poèmes, tout ce que je raconte dans mes histoires. Jessie WAMAL n’aurait jamais fait tout ça. Elle aurait eu peur de salir le nom de sa grand-mère ou celui de son père. Elle aurait fait attention. Jo Güstin crée de façon débridée, sans se soucier de qui va regarder, elle aime qui elle veut aimer, elle n’a de compte à rendre à personne, elle veut juste s’assurer, nihiliste optimiste, de vivre sa meilleure vie avant que tout ne s’arrête.

Bientôt, je demanderai l’accès à la citoyenneté canadienne. Est-ce que quelqu’un ira googler « Jessie WAMAL » ? Cette personne ne trouvera pas grand-chose. Parce que tout ce qu'elle a fait, cette Jessie WAMAL, c’était dans l’ombre. C’était traverser l’adolescence à 6000 km de sa famille, en auto-discipline, sans jamais boire ni fumer, au pays du vin, de la beuh et de la clope. C’était mémoriser en entier le dictionnaire Harrap’s Shorter anglais-français, au rythme de 5 mots et d’une expression idiomatique par passage aux WC. C’était réussir son bac avec mention très bien et sans aménagement alors qu’elle était malade depuis 3 ans et que le jury de l’oral d’histoire en anglais avait passé l’épreuve à feuilleter son passeport camerounais et avait refusé de l’interroger. C’était faire sa prépa à Daniélou alors que, malgré ses 17 de moyenne, les conseillères pédagogiques du lycée lui recommandaient un BTS et imprimaient en skred des listes d’écoles prépas pour les élèves (blanc∙he∙s) pas foutu∙e∙s de la détrôner. C’était décrocher HEC sur concours avec 19 en philo, alors que rien de la culture générale camerounaise n’était au programme de la CCIP. C’était apprendre à parler 7 langues, passer le permis en allemand, permettre à Jo Güstin de déployer ses ailes et de s'envoler. Dommage… Google ne lui dira pas tout ça.

*J’ai changé tous les prénoms. Isn’t that the point of this whole article?

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